Rencontre avec... François Chapel

1. Quel est votre parcours littéraire et professionnel ?

J’ai une formation d’ingénieur complétée par un Master’s de l’Université de Berkeley (Californie) puis un doctorat en Mathématiques et Mécanique Appliquées. Après avoir participé en tant que coopérant à la construction de barrages en terre en Côte d’Ivoire puis enseigné en école d’ingénieurs, j’ai travaillé vingt-cinq ans dans l’industrie pétrolière.

Mes premières expériences littéraires ont certainement été les nombreuses lettres qu’adolescent puis jeune adulte j’ai écrites à ma famille, alors qu’un voyage ou un séjour longue durée à l’étranger.me séparait des miens et m’invitait à partager mes aventures.

A l’occasion d’un changement important dans ma carrière professionnelle, j’ai décidé de prendre la plume pour écrire des nouvelles, participer à des concours et fréquenter des ateliers d’écriture.

Lauréat du concours de nouvelles des « Noires de Pau » en 2001, je participe depuis lors à la réalisation de livres collectifs de nouvelles avec cette association.

J’ai publié en 2006 aux Editions Mailletard un roman court « Valérie Moinot » présenté comme un conte pour adultes.

 2. Comment s’est opérée votre rencontre avec la langue portugaise ?

Elle s’est faite en deux temps. Pour des raisons professionnelles, j’ai eu besoin en 1995 de me familiariser un tant soit peu avec la langue pour participer à des négociations de contrats pétroliers rédigés et négociés en portugais. En 2007, ma demande de mutation en Angola a été exaucée. J’ai alors décidé de consacrer une grande part de mon temps libre à m’approprier la langue portugaise à l’aide de cours, de la lecture de romans et de temps passé avec des amis angolais.

 3. Comment avez-vous fait pour devenir le traducteur de l’un des plus grands auteurs angolais ?

À Luanda (capitale de l’Angola), il existe un lieu magique qui a pour nom «  O Cha de Caxinde » (La Citronnelle), un restaurant-bar accolé à un théâtre. Le restaurant se transforme fréquemment, le temps d’une soirée, en salon du livre pour des dédicaces, en salle de concert accueillant les meilleurs groupes du pays ou en salle de bal. C’est en ce lieu que j’ai rencontré Pepetela pour la première fois à l’occasion de la dédicace d’un de ses livres. Ma fille, qui a été professeur de lettres pendant un an au lycée français de Luanda, l’a ensuite invité dans ses classes pour parler du métier d’écrivain et de son livre « Le génie des eaux » qui était au programme cette année-là.

Lors de la dédicace d’un autre de ses livres, en 2010, j’ai demandé à Pepetela s’il me serait possible de traduire un de ses romans en français. Nous avons pris rendez-vous pour en parler et, lorsque j’ai pris ma retraite fin 2011, je me suis mis au travail.

Depuis, nous nous sommes souvent retrouvés à Luanda ou à Lisbonne. Au fil des longues discussions à refaire le monde, que nous affectionnons tous deux, nous sommes devenus très bons amis.

4. Le traducteur se fait le transmetteur d’un message, d’un récit, d’une plume. Au-delà du travail d’adaptation, quelle est selon vous la tâche du traducteur ?

Le traducteur doit aussi essayer de transmettre la musicalité du récit, son phrasé en s’aidant de la petite musique qui rythme sa propre écriture. Il doit aussi être conscient des différences culturelles qui existent entre le public de l’auteur et celui du livre traduit. Il doit s’assurer qu’il sera compris de son lectorat français. Dans le cas présent, il était indispensable d’être suffisamment imprégné de culture angolaise pour rester fidèle aux intentions de l’auteur. Quand l’auteur prend le point de vue d’un de ses personnages, le traducteur doit savoir situer ce personnage dans la société et la culture angolaises.

Il faut enfin oser s’éloigner du mot à mot et interpréter le texte pour que ses nouveaux lecteurs n’aient pas l’impression d’être en présence d’une traduction

5. Que voulez-vous transmettre de l’Angola, de sa culture et de son histoire à travers l’œuvre de Pepetela ?

L’Angola est un pays dont l’histoire de ces dernières décennies est riche et mouvementée. C’est un pays de contrastes avec une classe dirigeante aisée et une population pauvre dans sa grande majorité. Doté de ressources minières importantes et d’un contexte agricole favorable mais sous exploité, le pays dispose d’un très grand potentiel économique qui attire les convoitises intérieures et internationales et donne naissance aux prédateurs qui font le titre du livre de Pepetela.

Ce qui m’a beaucoup marqué et que je retrouve dans les livres de Pepetela, c’est l’omniprésence de la précarité dans la vie des pauvres du continent africain et comment celle-ci marque profondément leur mode de vie et leurs relations à autrui. Et puis, je partage avec Pepetela un grand respect pour ceux qui, comme Nacib dans « Prédateurs », ne baissent pas les bras et croient en des jours meilleurs pour leur pays.

6. Quel est le livre qui vous a donné envie d’écrire… ou de traduire ?

Je ne sais pas si je réponds vraiment à la question mais le livre que j’aurais aimé écrire ou à défaut traduire est le livre de l’écrivain canadien Russell Banks « The darling » qui se passe pour moitié aux États-Unis dans les années 70 puis en Afrique, plus précisément au Libéria, dans la tourmente des années 80 et 90. Avec pour toile de fond un contexte historique documenté et une intrigue romanesque très bien menée, ce roman correspond à mes attentes de lecteur et représente le modèle d’écriture que j’aimerais (aurais aimé) atteindre.

7. Quelle est votre citation favorite ?

Sans prétendre avoir un souvenir ému des versions latines de mon enfance, je m’en remets à Sénèque dont j’aime la sagesse : « La vie, ce n’est pas attendre que l’orage passe, c’est d’apprendre à danser sous la pluie ».

8. Quel est votre rituel d’écriture ?

Il me faut une plage de temps suffisamment longue car j’écris lentement, en revenant souvent en arrière pour me relire. Comme je suis plutôt matinal, le matin est le moment qui me convient le mieux. J’aime sentir une présence dans une pièce voisine de celle où j’écris. La proximité de la montagne ou de la mer est un bon catalyseur.

9. Pensez-vous, ou aimeriez-vous un jour écrire un livre ?

Oui, bien sûr, j’aimerais voir aboutir un projet de longue haleine et j’ai plusieurs ébauches sur la table, dans lesquelles l’Afrique n’est jamais loin.

10. Le mot de la fin ?

Un grand merci à Pepetela, bien sûr, pour tout le plaisir que j’ai à le lire et pour la confiance et les encouragements qu’il m’a accordés pour mener à bien le projet de traduction de « Predadores ».